Quelques notes sur le film
Mario Marcone n’est pas seulement un réalisateur de films, il est aussi metteur en scène d’opéra, c’est sans doute ce qui nous vaut un film symphonique avec trois personnages dont les histoires se croisent et composent ensemble un récit complexe.
Trois personnages
Le héros principal est, semble-t-il, Felice, ce personnage assez énigmatique, qui choisit de rester à Naples en rêvant de retrouver son amitié d’adolescence avec Oreste. Nous comprenons peu à peu son histoire et ce qui le mine : un cambriolage qui a mal tourné et qui fait que sa famille l’a éloigné brutalement de son univers napolitain et de son complice Oreste, pour qu’il échappe à la justice. Quarante ans s’écoulent avant qu’il ne revienne à Naples, et qu’il ne retrouve sa mère. Une fois revenu, impossible pour lui de quitter de nouveau la ville, même s’il va en mourir.
Mais il y a aussi Oreste et Don Luigi qui nous racontent une autre histoire : celle du combat d’un prêtre contre la Camorra.
"Apparue à Naples en Italie au début du XIXe siècle, la Camorra est la plus vieille organisation criminelle d'Italie. Très intégrée dans la population, surtout dans les milieux les plus pauvres" (Wikipédia). C’est ”une société secrète populaire dont la finalité est le mal” (Marco Monnier, 1863). Elle est ici incarnée par Oreste, l’ami d’enfance de Felice, qui dirige l’un des clans les plus violents de la Camorra.
Le personnage de Don Luigi est inspiré par Don Antonio Loffredo, qui lutte réellement contre la Camorra dans ce quartier de la Sanità et dans la basilique Santa Maria della Sanità. Télérama lui a consacré un article de plusieurs pages dans son numéro 3808.
Le combat du bien et du mal
La venue de Felice va permettre de dévoiler la profondeur du mal qui gangrène ce quartier de la Sanità depuis des générations et les armes dont use Don Luigi pour lutter contre ce mal.
Lorsque Felice retrouve sa mère dans un appartement qui ne voit jamais la lumière nous apprenons que c’est Oreste qui l’a fait descendre de son logis lumineux dans ce bouge.
Tout au long du film, de nombreux plans fugitifs nous montrent des fenêtres entr’ouvertes derrière lesquelles apparait un visage au regard observateur. A chaque détour des rues escarpées, quelqu’un monte la garde derrière un grillage, sans doute est-il armé. C’est comme un immense filet qui recouvre le quartier et Oreste surveille tout au centre de sa toile.
Lorsque Don Luigi emmène Felice dans une famille totalement adonnée à l’économie parallèle de la drogue, il leur faut franchir une multitude de barrières. La rencontre à mots couverts avec le chef de famille témoigne de l’omerta (la loi du silence) qui gère les relations.
Silence et lieux secrets permettent de lier et de garder chacun à la botte d’Oreste.
En face Don Luigi, avec courage, joue l’ouverture : la porte de l’église est grande ouverte, il célèbre sur la place pour un jeune assassiné par les sbires d’Oreste. Il se rend sur les lieux de conflits. Mais il dit à Felice : ”ne sort jamais seul” et il organise sa garde rapprochée faite de jeunes qu’il rassemble.
Son arme contre le mal : permettre aux jeunes de grandir, de réussir leur vie. Ils se défoulent en faisant de la boxe, ils nettoient les catacombes pour en faire un lieu touristique, ils apprennent à jouer d’un instrument et composent un orchestre… Ils découvrent des métiers.
Il leur apprend aussi la solidarité et l’échange, le bonheur d’être ensemble.
Le point d’orgue du film est sans doute la rencontre entre Oreste et Felice. Depuis le début nous savons qu’Oreste connait la venue de Felice. Ils se rencontrent parce qu’il le veut bien.
Et nous assistons à un dialogue qui ne peut aboutir mais qui nous révèle les racines du mal et leur caractère vertigineux. Oreste a grandi dans une famille sans amour et cela l’a livré à la violence (cf la scène en flashback dans laquelle il s’attaque aux trois jeunes qui ont agressé Felice). Le meurtre, non prémédité, du menuisier lui a fait franchir un seuil sans retour, surtout parce qu’il reste impuni. Il protège un secret gardé pendant quarante ans et dont le dévoilement signifierait la fin de son empire.
Cependant il juge amèrement son chemin en disant à Felice : ”Tu t’en es tiré ( la richesse, l’amour de ta femme, la reconnaissance) et moi j’ai tout perdu, je suis seul, personne ne m’aime, on me craint.”
Felice qui ne l’a pas trahi, mais qui l’a laissé sans nouvelles en partant, représente une menace, en revenant : s’il ne veut pas ”disparaître”, comme Oreste le lui demande, il ne peut que mourir.
Ce dialogue comme l’écrit Louis Guichard dans Télérama ”est un faisceau de questions cruciales et sans réponses. Aspiration au rachat ou au pardon, rêve de fraternité apaisée, désir de ressusciter une fusion intense, attrait funeste pour les causes perdues…”
Que serait-il advenu si la loi et la parole avaient pu trouver leur place ?
Felice meurt mais Don Luigi ne baissera pas les bras. Le mystérieux combat entre le bien et le mal se poursuit ainsi en tant de lieux sur notre terre.
GR
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